Comment es-tu arrivée dans l’univers de la technique du spectacle vivant et par quelle “porte”?
J’ai découvert le métier de régisseuse générale un peu tard et sur le tas. Je travaillais en Angleterre à l’époque avec des compagnies et en production et je mettais la main à la patte dès qu’il fallait décharger ou charger les camions, donner un coup de main aux montages/démontages, réglages et j’adorais ça. La personne qui partageait ma vie à l’époque a vu passer une annonce de “Opérations manager” et m’a dit : “c’est exactement ce qu’il te faut, c’est parfait pour toi, postule !”. Et c’était parti pour moi, j’ai absolument adoré le métier de régisseuse générale, j’ai appris beaucoup de choses sur le tas et via des formations. Puis je suis rentrée en France et j’ai continué. Je suis raide dingue du métier et de la variété des métiers avec qui l’on travaille dans une salle de spectacles. Pas vraiment de routine mais une connaissance chaque fois approfondie de son outil de travail, des challenges aussi bien techniques qu’humains, du terrain, de la veille technique, etc.
Quel est ton parcours de formation et professionnel ?
Je voulais être comédienne au sortir du lycée. Mes parents m’ont dit “d’abord tu fais des études jusqu’au master et après tu feras ce que tu veux.” Je ne savais pas vers quoi me diriger. Ils me voyaient faire Sciences Po. J’ai donc fait Sciences Po, années durant lesquelles j’ai participé puis repris le « club Théâtre ». J’ai fait mes stages dans le spectacle vivant et j’ai fait un deuxième master en production et spectacle vivant à Londres.
Quel autre métier aurais-tu aimé faire ?
Machiniste et régisseuse plateau avant la régie générale. Même si je n’ai pas de regrets car la production donne aussi un prisme intéressant au spectacle vivant et ce qui se trame avant qu’une équipe arrive au plateau. Je pense que j’aurais adoré ces deux métiers. Il n’est jamais trop tard!
Quel est ton meilleur souvenir de spectacle ?
Je ne sais pas en dire un en particulier. Mais ce moment de calme juste avant que le spectacle ne commence et que les équipes ont fait tout pour que le rideau se lève. C’est un joli moment (surtout quand tout se passe bien !)
Le pire ?
C’est dur de se souvenir je me rends compte…! Il y a les petits moments de panique où tu réalises que ni la fiche technique ni la compagnie ne t’ont prévenue qu’il y avait de la fumée dans leur spectacle et où tu cours mettre le SSI en veille en te disant que tu auras une conversation sérieuse sur ce point avec le/la RG de la compagnie…!
Comment s’est passé ton parcours professionnel en tant que femme ?
Disons que je pense avoir eu plutôt de la chance. En Angleterre en particulier j’ai été traitée sans distinction. Je travaillais avec des hommes qui me considéraient leur égale. Le boulot devait être fait et c’est ce qui comptait. Zéro commentaire ou attitude sexiste ! En France ce fût un peu moins facile car un de mes techniciens avait postulé pour le poste de RG et n’avait pas apprécié qu’une femme l’obtienne à sa place. Mais après m’avoir mené la vie dure un temps, sa tentative de sape n’a pas fonctionné avec le reste de l’équipe, d’autant que j’avais le soutien de ma direction et il est parti de lui-même.
Sinon, les expériences typiques des prestataires qui saluent d’abord un de mes techniciens en pensant que c’est lui le chef ou des commentaires désobligeants que j’ai immédiatement rembarrés et cela a cessé. Mais globalement mon genre ne m’a pas semblé être en permanence un élément de désavantage, même si j’ai toujours eu conscience que j’occupais un poste “historiquement occupé par des hommes”.
As-tu senti une évolution au niveau de la féminisation et de la situation des femmes dans les équipes techniques depuis les 20 dernières années ?
Depuis vingt ans je ne sais pas, mais un peu quand même depuis dix ans dans les équipes techniques. Il y a du mieux. Je pense fondamentalement que de ce point de vue-là : plus les équipes seront mixtes, plus les collaborations seront intéressantes, plus les femmes oseront des métiers techniques, plus elles oseront postuler et occuper des postes “historiquement occupés par des hommes” et plus cela se normalisera pour tour le monde. On va vers du mieux. Ça prend du temps, mais on est dans la bonne direction.
Que dirais-tu de la place des femmes aujourd’hui dans les directions techniques ?
Il y en a davantage mais encore trop peu dans des structures d’envergure. Néanmoins, je pense aussi que cela ne peut que s’améliorer car maintenant on sait ! On sait que les femmes peuvent, savent le faire et même qu’elles s’intéressent à ces métiers, qu’elles sortent des écoles désormais pour faire ce métier. Je pense que Réditec est un excellent médium pour rassembler et donner une visibilité aux femmes dans nos métiers.
Quel conseil donnerais-tu à une jeune directrice technique ou une régisseuse générale ?
Fais le maximum de métier dans le domaine avant de faire de la DT. Toutes disciplines confondues. Et sois curieuse, va voir les spectacles des autres et renseignes-toi sur les ramifications du système (sub, tutelles, politiques culturelles en plus de la technique), ça permet de comprendre pleins de choses à d’autres niveaux, d’autres enjeux au-delà du périmètre de la création ou de la régie purement technique.
Au-delà de la problématique de genre, quel est ton regard sur la fonction de directrice ou directeur technique telle qu’elle est aujourd’hui ?
C’est un poste intéressant avec une vision globale, une possibilité de projection dans l’avenir en termes stratégiques et budgétaires. C’est un poste qui demande une bonne capacité à gérer différents niveaux d’interlocutrices-trices. Je pense aussi que le poste en lui-même a autant de périmètres différents que de structures car selon la taille, l’échelle, le type de salles ou de projets, le budget, la localisation, l’organigramme…etc en dehors des missions “régaliennes” (budget, RH) chaque direction technique se retrouve avec des missions différentes.
Un message à faire passer à tes collègues masculins ?
Soyez ouverts, on est là pour bosser ensemble, pas pour se faire de l’ombre et vous voyez vous-mêmes que ça fonctionne bien le mélange. J’ajoute pour les collègues en position d’embauche : embauchez plein de femmes en fixe et en intermittence, c’est une vraie valeur ajoutée aux dynamiques d’équipes et ainsi on va ensemble vers du mieux !
Interview recueillie par
Jean-Rémi Baudonne